La jonglerie à l’envers, appelée, parfois, jonglerie en rebonds, consiste à jongler avec des balles en direction d’un plancher ou autre plan. Elle ne doit pas être confondue avec la jonglerie antipodistequi se pratique avec les pieds. 

Pillney - jonglerie à l'envers
C. O. Pillney

La ronde des balles

Si le principe du rebond d’une balle était connu depuis longtemps, encore fallait-il avoir l’idée, et le courage de travailler, sans relâche, pour être en mesure de présenter un numéro complet ou au moins une routine intéressante de jonglerie à l’envers

C’est ce que fit en 1898, L. A. Street. Il était accompagné de Guss, son partenaire, qui assurait la partie comique du numéro. 

La création de L. A. Street

L. A. Street - jonglerie à l'envers
L. A. Street – photo A. A.

Debout sur une chaise posée sur un petit plancher surélevé, L. A. Street envoyait ses balles vers le bas, et celles-ci revenaient comme par enchantement dans ses mains. Il jonglait ainsi à l’envers avec sept balles. Pour un autre exercice, il lançait les boules en direction d’une planche inclinée. Celles-ci rebondissaient d’abord sur la plancher du podium, puis sur le plan incliné pour revenir dans les mains du jongleur.

Dans La Merveilleuse Histoire du Cirque, Henry Thétard écrivait :

« … L. A. Street, qui commença sa carrière par être danseur russe, fut le créateur de la jonglerie des balles envoyées de haut en bas et rebondissant sur le sol, réussissant à travailler ainsi avec sept et huit balles… »

La balle du chien

Quelques années plus tard, l’idée de ce numéro fut repris et enrichi par Robertus et Wilfredo

Ces deux américains originaires de Lowell, dans le Massachusetts, vinrent en France en 1904. Ils présentaient un numéro complet de jonglerie de balles à l’envers, à deux, sur un petit podium. Ils innovèrent en se faisant aider de Jack,un petit fox terrier qui avait la responsabilité de rapporter les balles qui pouvaient s’échapper. Lors d’une autre routine, Jack se tenait au garde à vous, le dos appuyé contre une planche verticale. Robertus et Wilfredo envoyaient alors dans sa direction une rafale de boules qui le frôlaient, bien sûr sans le toucher.

L’introduction du son

Robertus et Wilfred - planche
Planche de Robertus et Wilfred

Une autre innovation de taille fut celle des bruitages. Dans un excellent article de La Croix Illustré,de septembre 1904, A. Lerapin, écrivait : 

« … Enfin, la dernière partie des tours d’adresse de Robertus et Wilfredo consiste à faire rebondir leurs balles sur la plate-forme pour produire des sons bizarres donnant l’illusion d’autres bruits connus.

Ils font ainsi : le bourdonnement d’un essaim d’abeilles, le bruit d’un express passant par un tunnel, la diminution de vitesse du train à l’approche d’une station, l’arrêt de la locomotive imaginaire, le roucoulement de deux tourterelles, les vagues déferlant sur les rochers, un troupeau en marche, les roulements du tambour, le rugissement du lion, etc… »

Nouveau genre de la jonglerie à l’envers

En ce début de siècle, d’autres jongleurs allaient se consacrer à cette nouvelle discipline tels, les Héraclès, C. O. Pillnay, ou les Ivanovitch.

Dans les années 1910, Anita Bartling jonglait à l’envers avec 7 balles sur un tambour posé au sol. Cet exercice fut amélioré dans les années 1920, avec l’ajout d’une balle supplémentaire par Kaethe Gueltini

La jonglerie à l’envers fut encore pratiquée par, Raglus, Elvira, Clyde Monroe et ses sœurs… entre les deux grandes guerres mondiales, par le jongleur fantaisiste Crokett, Charles Carrer, Enrique et Nita GarzoniWinnifred et Willie Towa, avec un petit chien comme partenaire…

Bobby May qui, juché sur un piédestal, en équilibre sur la tête, faisant rebondir des balles sur un tambour.

Sur une île déserte

S’abritant sous un parasol en peaux de lapin, vêtu d’invraisemblables oripeaux, le crâne coiffé d’une toque de fourrure, le long et maigre Rich Hayes faisait une entrée étonnante suivi d’un fidèle assistant, le visage noirci au bouchon brûlé. Pour donner vie à ses exercices, ce jongleur original avait choisi d’interpréter le rôle de Robinson Crusoé, et son partenaire, celui de Vendredi. 

Rich Hayes était un maître de la jonglerie à l’envers. Marthe et Juliette Vesque l’ont immortalisé, lors d’une représentation à l’Empire de Paris, alors qu’il effectuait une routine de balles à l’envers, les yeux bandés.

Après la seconde guerre mondiale, Eric van Aro, faisait rebondir des boules sur le tom de sa batterie de jazz. Rudy Horn effectuait une routine avec 7 balles sur un tambour. Quant à Luly Perezoff, elle présentait un numéro complet de balles au rebond sur trois tambours posés au sol. 

Tirs en rafale

Sampion Bouglione IV - photo
Sampion Bouglione IV – photo Pierre Dannès junior

À la fin du XXème siècle, la jonglerie à l’envers fut pratiquée par le clown Francesco, Line Caroll, et les Dynamotion Jugglers (Barrett Felker et Sim Strinka).

Michael Moschen, fut le créateur de la jonglerie avec des balles à l’intérieur d’un polyèdre en Plexiglas composé de trois plans disposés en triangle. Cette innovation fut reprise par le Canadien Réjean St Jules, dans les années 1995, qui animait des tirs en rafale avec des balles phosphorescentes. Son compatriote Sylvain Duchesne, est l’auteur d’un ouvrage technique d’une grande clarté, intitulé Jongler avec des balles au sol.

En Europe, Jérôme Thomas multipliait les variations et les rebonds avec quelques boules seulement. Au rythme de bruitages, Laurent Cabrol pilotait ses balles sur le sol, et Michael Korthaus faisait les rebondir puisant son inspiration dans les jeux vidéo. Ajoutons à ces artistes, Gandini, Karen Bourre, les Cousins, et la compagnie des Objets Volants.

Cent années de rebonds

Eddy Carello, au Cirque Arlette Gruss, en 1998, présentait un florilège de balles en rebonds sur une batterie de jazz. Il venait de fêter le Centenaire de la jonglerie à l’envers… 

Cette jonglerie devint une discipline à part entière, pratiquée par de nombreux artistes de haut niveau. Dès l’an 2.000, nous avons pu apprécier de nombreux adeptes de cette discipline comme Zdenek, Cartoll, Sosian Souvanov, Hannes Kannes, ou Brandon en équilibre sur un rola-rola. Au Festival de Figueras se distinguèrent Dmitry Khaylafov, le trio russe Attar et le Chinois Cai Cao.

Saluons Sampion Bouglione IV qui jongle tout en danse des claquettes. Les recherches d’Olivier Caignart Onous permettent d’ajouter encore le nom de Mike Leclair, Alan Suic et Katya Nikiforova, sans oublier Yohanes Moges et Fred Tep.

Depuis, pratiquement chaque année, les aficionados de la jongle peuvent découvrir de nouveaux talents qui honorent la jonglerie à l’envers.

Dominique Denis

Adaptation de l’article : Le centenaire de la jonglerie à l’envers – Dominique Denis – Le Cirque dans l’Univers – n° 192.

Sources

  • La ronde des balles
  • L’art de la jonglerie – Dominique Denis – Vol I – Vol II.
  • Jonglerie – Jonglerie à l’envers – Jongleur – Dictionnaire du Cirque – Dominique Denis – Vol II.
  • La création de L. A. Street
  • Cartes postales anciennes – Collection Paul Salasca – Dominique Denis.
  • La Merveilleuse Histoire du Cirque – Henry Thétard – p 334.
  • A vous les jongleurs – Adrian.
  • 4.000 years of juggling – Karl-Heinz Ziethen.
  • La balle du chien
  • Juggling – Karl-Heinz Ziethen – Andrew Allen.
  • L’introduction du son
  • Les merveilles de la balle qui rebondit – A. Lerapin – La croix illustrée – n° 196 – 25/9/1904.
  • Manuel de Jonglerie – Max Holden – p 13 à 17.
  • Sur une île déserte
  • Le cirque et le music-hall – Pierre Bost – p 237-238.
  • L’Empire – Paris – Novembre 1926.
  • Spectacle de l’Empire – Louis Léon-Martin – Le Petit Parisien – 20/3/1929.  
  • Le cirque en image – Marthe et Juliette Vesque – p 93.
  • Nouveau genre de la jonglerie à l’envers
  • Bobby May dies at age 75 in Cleveland – Ohio – Dennis Soldati – IJA – Vol 34 – n° 1 – Janvier 1982. 
  • Juggling – its history and greatest performers – Francisco Alvarez. 
  • Les Clowns – Tristan Rémy – p 160.
  • Das Organ – Novembre 1989.
  • Scènes et Pistes – n° 41 – Octobre 1957.
  • Tirs en rafale
  • Cirque – N° 53 – 1988.
  • Dossier Les Jongleurs – Michel Le Goulven – Pirouette – n° 4 – Février 1999.
  • Jongler avec des balles au sol – Sylvain Duchesne.
  • XIXe Festival International de Monte-Carlo – Jacques Richard – Le Cirque dans l’Univers – n° 176.
  • Cent années de rebonds
  • Programmes Arlette Gruss – Festival International Albacete – Figueras – Cirque d’hiver Bouglione.
  • Photographies Yvon Kervinio.
  • Notes Olivier Caignart.

A Lire

Jongler avec des balles au sol – Sylvain Duchesne – Editions Logiques – Montréal 1996.