Méridional enjoué au visage coloré de globe-trotter britannique, le comique à bicyclette Nello avait toujours le mot pour rire.
Green et Nello
Leurs débuts furent peu glorieux. Pourtant Green avait l’expérience de la scène, puisqu’il avait fait partie de la troupe des Leytons.
Seul Nello était un débutant. Originaire de Nîmes, Jean Bessières, né en 1898, était monté à Paris pour tenter sa chance. Ses parents souhaitaient qu’il devint hôtelier comme eux. Il fit des études secondaires. Au lycée, le jeune Jean lisait en cachette les revues professionnelles artistiques. Il fréquentait assidûment l’Eden de Nîmes et poussait une pointe jusqu’à l’Alcazar de Marseille. Il suivait avec la plus grande attention le travail des vedettes tel Sardou, le père de Fernand et grand-père de Michel, ou encore les célèbres barristes roumains Poppescu. Il rêvait de faire l’Artiste. Il avait même choisi son nom – Nello – en référence au personnage du célèbre roman Les Frères Zemganno d’Edmond de Goncourt.
Arrivé dans la capitale, il entra comme groom à Tabarin. Il avait seize ans. C’est dans cet établissement qu’il rencontra Green qui justement cherchait un partenaire… Quelques mois plus tard, ils se lancèrent… Malgré leurs premiers échecs, ils persévérèrent. Le jeune Nello était costumé comme le chanteur méridional Darius M. qui l’avait fortement marqué : guêtres blanches et veston à carreaux noirs et blancs. Il avait un cigare en métal qui l’aidait à lui donner une contenance. Le public ne semblait pas très impressionné par ce duo. Malgré tout, les spectateurs ont toujours une certaine indulgence pour la jeunesse. Ils arrivèrent tant bien que mal à trouver de ci de là des petits engagements.
Tipperary
La fin de la Grande Guerre approchait. Les Britanniques et les Américains arrivaient en renfort… Alors qu’il se promenait avec Green sur le Boulevard Sébastopold, Nello aperçut un soldat écossais en permission. Aussitôt, ce fut l’illumination ! – A partir de demain, tu t’habilles en soldat américain, et je me colle en Ecossais !
Quelques jours plus tard ils débutèrent au Petit Casino avec leur nouveau numéro. A leur entrée, l’orchestre attaqua It’s a long way to Tipperary. Les spectateurs se levèrent et les applaudirent à tout rompre… Le reste alla comme sur des roulettes. Les contrats affluèrent. Ils purent enfin s’acheter un costume chacun et une canne à pommeau en simili-or. Quelque temps plus tard, Nello fait la connaissance de Tsom-Tsom, le plus merveilleux des amis. Alors qu’il lui faisait part de son désir d’acquérir un vélo miniature, sans hésiter, son nouveau copain l’emmena chez Bizolier, l’artisan spécialisé. Peu d’artistes en auraient fait autant. Tsom-Tsom était ainsi fait ! Nello eut donc, lui aussi, son petit vélo. Il mesurait 35 centimètres de haut et 25 centimètres de long, ce qui pour l’époque était vraiment petit. Le temps de répéter, et Nello venait d’enrichir son numéro d’un nouvel effet.
À Medrano
Ils passaient dans des établissements de plus en plus cotés. Petit à petit, leur numéro s’étoffait.
André Legrand-Chabrier écrivit dans Paris Journal, en 1924 : « … Au Cirque Medrano en ce moment Green et Nello y mettent de la délicatesse et de l’entrain. Ce sont des virtuoses de la finesse plutôt que de l’éclat. Ils laissent leur numéro sur la même tonalité, passant sans heurt du sévère au plaisant. Cela roule toujours. Et c’est bien ce qu’il faut. Le tout est d’une qualité de tact et de mesure avec le sourire, qui révèle une double personnalité à la fois modeste et remarquable, bien sympathique, d’une seule courbe de modulation depuis l’entrée en piste jusqu’à la sortie, ce qui est fort appréciable et peu commun… »
Coupez !
Un soir, alors qu’ils passaient en dernier numéro, dans le programme de l’Olympia, le régisseur les apostropha : – Dépêchez-vous ! Coupez ! Faut qu’on termine !
Green et Nello ne dirent rien. Cette situation est assez fréquente au cirque et au music-hall. Quand on sent qu’un public commence à se lasser, il est en effet plus prudent d’abréger. Le fait, d’autre part, que Green et Nello étaient programmés en dernière place dans le programme, n’avait non plus rien d’inhabituel. A une époque pas si lointaine, la deuxième partie des spectacles de music-hall se composait d’un numéro d’entrée, de la vedette dont le tour durait environ quarante minutes, et d’une dernière attraction pour conclure.
Imperturbablement, Green et Nello continuaient leurs exercices acrobatiques. Le régisseur continuait à leur faire des grands signes pour tenter de les faire accélérer. Charmant garçon, Nello n’était cependant pas du genre à se laisser faire. Exaspéré, il lui répondit à mi-voix… Puis le ton monta… Et comme il avait la langue bien pendue, les répliques fusaient à vive allure. Le numéro terminé, Nello fut convoqué au bureau directorial. Le patron Paul Frank, qui avait assisté à la scène, le félicita. Il trouvait la trouvaille originale et l’encouragea à développer l’idée. C’est ainsi que Jean Bessières allait devenir Nello le cycliste bavard ou encore l’Humour qui roule.
L’accident
De jour en jour le numéro de Green et Nello évoluait. Jean Bessières s’affirmait dans ses réparties Il ne cessait de soliloquer en faisant référence à l’actualité du moment. Ses blagues étaient drôles par rapport aux faits journaliers ou aux situations acrobatiques du numéro. Il est évident que, sortis de leur contexte, ces gags perdent toute leur saveur.
Après avoir manqué deux fois un exercice, il disait : – Nous avons tout le temps, le dernier métro est à minuit !
En mars 1926, Green et Nello fêtèrent leur dixième anniversaire d’association. Quelques jours plus tard, alors qu’il était seul dans un train, Green eut un étourdissement. Il tomba sur le plancher du wagon contre le radiateur brûlant. Il resta évanoui quelques instants, la joue collée contre les tuyaux. Lorsqu’on le releva, il avait la face brûlée au troisième degré. L’affreuse blessure se compliqua d’une crise de tétanos… Il fut opéré. On lui enleva une partie de visage.
Il fut sauvé, mais il n’était plus question de remonter sur une scène.
Nouveaux essais de Nello
Alors, Nello dut alors chercher un nouveau partenaire. Il remonta une nouvelle version de son numéro sous la dénomination Gray and Gray. Le travail ne pouvait plus être exactement le même. Jean Bessières développa le caractère parlé et anecdotique de l’attraction. Avant de commencer un nouveau tour, il s’approchait de la rampe et annonçait : – C’est un exercice périlleux et rare que mon camarade va exécuter devant vous. Il a eu l’honneur de le faire devant la photographie du Roi d’Angleterre !
Ou encore : – Joseph, il va sauter… Comme Citröen ! Attention, car s’il tombe, il n’aura personne pour le renflouer !
Expériences
Il essaya même de changer son personnage avec de nouveaux effets de costume. Ainsi il anima un personnage de mariée burlesque, sans doute inspirée de la présentation à la Cour de Little Tich. Il se transforma en Saint Roch ou encore Diogène. Ces nouvelles compositions n’eurent pas de lendemains, et il revint à son kilt et à ses bavardages. Après sa collaboration avec Gray, Nello, assisté de Louis Amphoux, se produisit au Cirque Rancy en 1930. Il travailla aussi avec Renatis. Par la suite Marcel Gray monta un numéro en solo, puis s’associa avec Garden.
Courageusement, Jean Bessières remit en question la conception même de sa prestation artistique. Il mit son numéro à plat et le restructura. L’acrobatie en réalité n’était qu’un prétexte. La participation du partenaire était nécessaire à condition qu’elle se cantonne à sa fonction de faire-valoir. Son personnage était au point. Ses réparties faisaient mouche. La version en anglais avait du succès.
Notre Nello allait repartir sur ces bases d’une solidité à toute épreuve. Il embaucha un nouveau partenaire qui allait devenir son cadet. Après plusieurs expériences peu concluantes, il trouva l’artiste idéal en la personne de Gimo, originaire de Pau. Costumé comme un collégien d’Eton, pantalon gris perle, petite veste courte et col dur, Gimo apprit son rôle en une semaine.
Nello : L’apogée
En octobre 1932, Nello and partner se produisaient à L’Empire de Paris. André Legrand-Chabrier écrivait alors :
« … C’est le meilleur cascadeur de paroles que je connaisse. Il est vif et prompt à l’imprévu, jaillissant de plaisanteries singulières, cocasses, même poétiques, et d’une observation aiguë de ses contemporains. Il est le type même de l’excentrique français transposé, sans imitation factice, du même type qu’ils ont en Angleterre, à la foison. Il n’est pas clown de cirque, du tout. Il n’a pas de tradition, et son vocabulaire ne doit rien qu’à lui. On s’aperçoit de plus en plus qu’il est un « original » de music-hall, et d’intellectuelle envergure… »
Tous les chroniqueurs de l’époque étaient unanimes. Dans leurs ouvrages, Jérôme Medrano, Serge ou encore Louis Merlin, lui rendirent hommage. Nello se produisit dans les meilleurs établissements de l’époque, de Medrano au Palladium de Londres, en passant par l’Alhambra, l’ABC, Bobino, le Rex ou le Palace de Manchester. Pendant tout le temps de leur collaboration, Gimo fut un excellent compagnon. Ils pédalèrent ensemble sur la route du rire jusqu’en 1937. Après une tournée en Afrique du Sud, Nello décida de faire ses adieux aux planches. Il fit un dernier passage à Medrano pour La Nuit des Vedettes en novembre 1938.
Dernière étape
Nello s’était marié avec Germaine Gilbert qui était chanteuse d’opérette. Tous deux reprirent la direction de l’établissement paternel à Arles, le Nord-Pinus hôtel. Les plus belles chambres portaient les noms de clients et amis célèbres : on pouvait lire ceux de Picasso, Gaston Palmer, Dominguin, Fernandel, Léon Marchoux ou encore Louis Merlin. Le Nord-Pinus hôtel était devenu l’étape obligée des artistes du cirque et du music-hall.
Tous les témoignages sont concordants. Tout le monde adorait cet homme exceptionnel. Méridional enjoué au visage coloré de globe-trotter britannique, il avait toujours le mot pour rire. Avec humour, il narrait ses épopées dans les cirques de foires, comme chez Lambert où tous les artistes se démaquillaient avec un unique morceau de lard pendu à une ficelle. Il poussait volontiers la chansonnette, évoquant les compagnons de ses débuts. Il connaissait tout le répertoire, de Xanrof à Scotto. Fidèle en amitié, il n’oubliait pas ceux qui n’eurent pas sa chance. Il fut la discrète Providence de certains.
Hommage à Nello
Jean Bessières dit Nello, fut emporté par une crise cardiaque dans la nuit du 31 août 1969. Ses obsèques eurent lieu en présence d’une nombreuse assistance à l’église Saint-Trophime. Son épouse Germaine s’est éteinte à son tour le 24 mai 1987. L’hôtel a été racheté l’année suivante et entièrement rénové pour en faire un établissement 4 Etoiles.
En hommage à Nello, laissons le mot de la fin à André Legrand-Chabrier qui, lors de son passage sur la scène de l’Alhambra, en mars 1933, écrivait : « … C’est, il faut bien le répéter, l’un des plus originaux artistes français du music-hall humain et universel … »
Dominique Denis
Extrait de : Les Comiques à bicyclette – Dominique Denis – Arts des 2 Mondes – (en cours de réédition)
Sources
- L’humour qui roule
- Quand j’étais « L’Humour qui roule » par Nello – Le Cirque dans l’Univers – n°36 – p 17.
- Notes de L. R. D. Dauven.
- Le Monde du Cirque – Serge – p 51 à 55.
- A Londres avec Nello – Jean Barret-Zemganno – Le Cirque dans l’Univers – n° 75.
- Tipperary
- Le Cirque dans l’Univers – n° 36 p 18-19.
- Paris Journal – André Legrand-Chabrier – 21/11/1924.
- Coupez !
- Notre Ami Nello – Le Cirque dans l’Univers – L .R. D. Dauven – Louis Merlin – Jacques Garnier – n° 74.
- L’accident
- Comœdia – André Legrand-Chabrier – 5/4/1926.
- Nouveaux essais
- Comœdia – Gustave Fréjaville – 21/4/1927- 12/5/1927 – 16/6/1931.
- Note des demoiselles Vesque – 15/6/1929 – 13/4/1931 – Musée des A T P.
- Le Cirque dans l’Univers – n° 81.
- Fonds Medrano – Musée des A T P.
- Inter-forain – Adrian – 1/1/1952.
Sources – suite
- L’apogée
- André Legrand-Chabrier – 15/10/1932.
- Notes de l’Auteur.
- Dernière étape
- Une vie de cirque – Jérôme Medrano – p 117-118.
- Histoire du Cirque – Serge – p 198.
- J’en ai vu des choses – Louis Merlin.
- Vu par Louis Merlin – Le Cirque dans l’Univers – n° 46.
- Le Cirque dans l’Univers – n° 36 p 19 – n° 74 p 24 – n° 145 p 19.
- Arles Magazine – décembre 1988.
- La Rampe – André Legrand-Chabrier – 15/3/1933.