Le fameux numéro de la jonglerie au restaurant a été tiré de la pièce Le voyage en Suisse interprété par Agoust et les Hanlon Lees en 1878.
Les rois de la voltige
Les frères Hanlon, Georges, William, Alfred, Edmond et Frédéric, qui se faisaient appeler Hanlon Lees en hommage à leur maître Lee étaient de brillants gymnastes. Ils avaient débuté à Londres, au Théâtre Adelphi, en 1847, avec un numéro d’icariens que Risley venait de mettre à la mode. Quelques années plus tard, ils s’initièrent aux joies du trapèze volant.
A Chicago, ils rencontrèrent Agoust qui leur enseigna l’art de la pantomime dans la tradition de Debureau. Les Hanlon montérent alors Arlequin statue et Arlequin squelette.
La troupe arriva à Paris en1867 et interpréta Le Frater au village, une des premières pièces jouée au Théâtre des Funambules. Les Hanlon Lees furent ensuite engagés au Cirque d’Hiver avec une pantomime intitulée Les trois fils de l’air.
Le jongleur de rue
Sous l’Empire, Agoust était un bâtonniste, à la manière de Pradier, le fameux jongleur de rue.
Il débuta fort modestement sur les places publiques. Puis, il apprit l’art de la pantomime avec Blanc, directeur de théâtre au Havre. Par la suite, Agoust devint metteur en scène au Théâtre du Jeune Henri, où il monta divers spectacles.
Devenu jongleur en soliste, il fut à l’affiche du Cirque des Champs-Elysées, en 1874.
La clef du succès
La guerre de 1870 avait disloqué la troupe, et Agoust s’était engagé dans un bataillon de marche.
Six ans plus tard, Agoust retrouva les Hanlon Lees qui interprétaient la pantomime Do, mi, sol, do au Walhalla de Berlin. Il manquait cependant la patte du maître. Tout naturellement, Agoust devint leur chef d’orchestre. Et ce fut alors le succès !
Engagés pour un mois aux Folies Bergère, à Paris, pour un cachet de neuf mille francs, ils obtinrent une prolongation de treize mois, à raison de quinze mille francs. Les Hanlon devinrent de véritables vedettes.
Reverchon et Vollet éditèrent, en 1879, un livre intitulé Mémoires des frères Hanlon Lees préfacé par Théodore de Banville, illustré par des eaux fortes de François Regamey.
Le voyage en Suisse
La pantomime suivante fut Le voyage en Suisse dont l’argumentation était un voyage de noces contrarié par de multiples incidents. Emile Zola dans Le naturalisme au Théâtre leur rendit hommage en soulignant la perfection de leur interprétation :
“… Ce qu’ils mettent dans tout, c’est une perfection incroyable. Leurs scènes sont réglées à la seconde. Ils passent comme des tourbillons, avec des claquements, des soufflets qui semblent des tic tacs mêmes (sic) du mécanisme de leurs exercices. C’est là ce qui les caractérise…”
Au troisième acte, la bande de joyeux lurons tombait du haut des cintres en plein milieu de la salle de l’auberge. Par jeu, ils se mettaient alors à jongler d’abord avec les oeufs, puis avec les couverts de la table.
L’heure de la separation venue, Agoust quitta les frères Hanlon Lees en 1890.
Une re-création
S’inspirant de cette prestation de jonglerie du Voyage en Suisse, Agoust créa un numéro original intitulé Scène de jonglerie dans un restaurant parisien.
Strehly décrivait la scène ainsi :
“…Agoust arrivait en vieux viveur, accompagné d’une demi-mondaine. Le garçon et le maître d’hôtel faisaient le service en jongleurs, c’est-à-dire en faisant tout voltiger dans les airs, jusqu’au moment où, gagnés par l’exemple, la demi-mondaine et le vieux beau lui-même se mettaient de la partie.
Fruits, assiettes, couverts et flambeaux, tout décrivait dans l’espace une savante parabole. Assurément, les détails de cette scène n’avaient pas une valeur transcendante, et, présentés dans un cadre ordinaire, ils eussent laissé un public froid.
Mais la mise en scène était si réussie, et Agoust, malgré son âge, déployait encore tant de verve, que l’effet d’ensemble était irrésistible…”
De nouveaux interprètes
On peut mesurer le succès d’un numéro de variétés au nombre d’imitateurs qu’il succite… Et, Agoust fit école.
Le clown John Price adapta le numéro du restaurant à sa manière. Ses fils John junior, Pierre, Franz et Tommy, jouaient de la musique en soufflant dans des ustensiles de cuisine.
Les Rambler, de 1899 à I910, adoptèrent le thème de la table d’hôte. Ensuite, Mimmie W. Rambler présenta un numéro d’assiettes tournantes. Elle travailla par la suite avec sa nièce Lucy, puis avec la troupe Macetta.
À la Belle Époque, il y eut encore les Balaguer, les Onri, et en France, les Aicardi, ainsi qu’une équipe de la famille Loyal.
Chez Maxim
Cette attraction fut reprise en 1910 en Amérique par Wallace Havelock sous le titre Fun in a Restaurant.
En Europe, les frères Perezoff, Charles, José et Francisco, mirent en place, en 1908, Un souper animé chez Maxim’s.
Au départ, le numéro était animé par quatorze personnes. Au final, chaque participant jonglait avec six assiettes, ce qui faisait un total de quatre-vingt-quatre plats voltigeant en même temps dans les airs.
Par la suite, la famille se scinda en deux unités distinctes. L’équipe dirigée par Francisco s’établit en Grande-Bretagne, et l’autre voyagea en Europe sous la direction de Charles.
José fonda la troupe Peresoni, tandis que Francisco devenait jongleur sous le nom de Perez et Marguerite, puis sous le pseudonyme de Rostando.
L’éternel retour
La scène de jonglerie au restaurant s’est éteinte pendant la deuxième guerre mondiale. Des jongleurs, comme Adanos, ont continué à utiliser ce thème mais d’une façon plus stylisée et sans décors.
Un siècle après la création du numéro de la table d’hôte, la famille Pickle de San Francisco a repris ce thème pour son spectacle en 1989. Cette troupe avait été créée en 1974 par Larrry Pisoni, dit Lorenzo Pickle.
La boucle est-elle ainsi bouclée ? On peut toujours espérer que de nouvelles équipes reprendront, un jour, cette scène jonglée au restaurant créé par Agoust. . .
Dominique Denis
Adaptation de l’article Scènes de jonglerie au restaurant par Dominique Denis – Le Cirque dans l’Univers – n° 181 – 1996.