Medrano perdu : Si le cirque en dur parisien n’est plus qu’un souvenir dans la mémoire collective, ses vues restent éternelles grâce au fonctionnement de la caméra et à celui des archives du cinéma.

Chronique sur le Cirque au Cinéma tenue par Micky Biblot

Ils étaient neuf célibataires
Ils étaient neuf célibataires - Medrano perdu

Ils étaient neuf célibataires

Une actualité autour de Medrano perdu se présenta en 1939 dans le film  Ils étaient neuf célibataires, d’Alexandre (dit Sacha) Guitry dans une histoire construite autour d’un phénomène d’actualité, en cette année faste, concernant la régularisation des étrangers vivant dans le pays, qui pour obtenir la nationalité française, n’ont d’autres choix que le mariage forcé.

L’opportuniste Jean Lécuyer (Sacha Guitry) l’a bien compris et décide de monter une filière avec des célibataires Français âgés qu’il a recruté sur le tas et les invite à séjourner dans un hôtel particulier loué à Neuilly ou Lécuyer va organiser des rendez vous avec des dames prêtes à payer pour qu’il arrange des unions. Comme l’indique le titre et en y associant l’idée des couples, beaucoup de comédiens entrent en jeu, formant les duos les plus hétéroclites qui soient, mais légaux sur le papier. Parmi eux, un cas intéressant, en la personne d’Amédée (Jean Sinoël), un sans abris d’un genre farceur et la danseuse asiatique Mi-Ha-Ou en contrat à Medrano. Par bonheur, l’époux décidera de lui rendre visite au cirque pour la scène tant attendue. Concrètement, le mari déboule par un des vomitoires de la salle coiffé d’un chapeau haut de forme, l’air détendu, pendant que sa femme tournoie à une vitesse vertigineuse sur un parquet amovible. Amédée arrive ensuite en bord de piste et se mêle à sa chorégraphie dans un effet comique déclenchant les rires, ce qui provoquera son engagement en duo avec Mi-Ha-Ou.

Enfin, à signaler dans la scène, un trio de clowns qui se tient dans l’entrée comme cela semblait se faire à l’époque. Soit deux minutes de cirque dans le Medrano perdu pour un film qui dure juste deux heures.

Au revoir Monsieur Grock
Affiche du film Au revoir monsieur Grock - Medrano perdu

Affiche du film Au revoir monsieur Grock

Des traces plus conséquentes de Medrano perdu sont visible dans le long métrage du Pierre BillonAu revoir Monsieur Grock (1950) dans le sens ou le clown Suisse y fit vraiment son dernier spectacle. Une œuvre qui vaudrait à elle seule un article et dont le décorticage viendra en son temps, souhaitant m’arrêter sur les trois séquences à Medrano lors du tournage.

La première se situe au tiers du récit, dans une scène ou le réalisateur filme d’abord le public, puis le metteur en scène capte le clown Grock (Adrien Wettach) en piste dans son jeu caractéristique avant d’entamer un air à la grosse caisse avec son partenaire Antonet (interprété par Louis Maïss) officiant à la clarinette tandis que d’autres extraits sont montrés en incrusté dans le cadre d’une tournée Européenne, soit un premier spot de trois minutes à Medrano. La seconde séquence intervient quasiment à l’heure de film, en 1939, quand le réalisateur décompose l’enseigne lumineuse latérale laissant apparaître les premières lettres d’un célèbre club de vacances, puis deux caractères évoquant un rongeur et finissant par la traduction anglaise du non. Nous en resterons là sur l’aspect extérieur, pour rejoindre la loge de Grock, quand le présentateur frappe à sa porte et lui demande de faire douze minutes de rallonge en piste car le danseur de claquettes a été mobilisé ; il remet aussi un télégramme au clown qui après l’avoir lu l’invite à son tour à différé son passage après les acrobates pour appeler Zurich. La troisième apparition se manifeste à un quart d’heure de la fin, mais dure quinze minutes. Pierre Billon nous offre d’abord une vision de la façade du Medrano perdu, dans un beau cadrage avec zoom arrière, tandis que passent des tacots et qu’une certaine effervescence règne côté trottoir. Sur le fronton, apparaît en lettres éclairées Les adieux de Grock (1949).

À noter, également, au dessus des portes d’accès, trois fenêtres en alcôves donnant du cachet à l’édifice. L’on retrouve ensuite le clown sans âge dans le pourtour du cirque faisant passer deux gosses en dernière minute alors que l’on assiste aux échauffements des artistes ; en arrière plan un garçon de piste offre une autre attraction en nettoyant les stalles de trois chevaux pie au box.

Au revoir monsieur Grock - Medrano perdu

Au revoir monsieur Grock

Les premières images du spectacle mettent un trio de volants en action, puis les trapézistes descendent à la corde jusque sur le sol de la piste indiquant qu’il n’y avait  peut être  pas de filet, car les évolutions antérieures étaient filmées de façon à ne pas montrer cette zone à l’écran. La scène suivante offre une vision globale du cercle ou a été placé un piano à queue, Grock y apparaît, mais il ne pourra entrer dans le vif du sujet qu’après des applaudissements de fou, dont je me suis demandé s‘ils n’allaient pas se terminer en ovation debout.Grock présente ensuite son célèbre numéro avec son partenaire Louis Maïss. À noter un épilogue  cocasse, à l’extérieur, quand des admirateurs l’attendent rue Violet le Duc devant la porte des artistes, tandis que Grock fait sa sortie par une entrée principale dégagée ou l’attend une Traction qui démarre en direction de Nation.

Virgile
Virgile - Medrano perdu

Virgile

En 1953, le metteur en scène Carlo Rim se servit de la structure pour clore son histoire  Virgile, le titre faisant référence à l’acteur principal, l’apprenti journaliste Virgile Papillon, interprété par Robert Lamoureux.

On le voit dans un premier temps dans une rédaction en effervescence, car ses membres préparent un gala de la presse en répétant sur place des numéros supervisés par le patron la Tripe, (Fernand Sardou), tandis que Virgile repaire vite la chroniqueuse, Jackie (Clémentine Kerwine). Mais la capitale vit un autre évènement car le truand Esposito (Yves Robert) est en cavale et va faire les gros titres des journaux. Le brigand traqué finit par se réfugier dan l’appartement de Virgile, ou l’on apprend qu’ils étaient ensemble à l’école communale. Plus tard, le fuyard sera localisé par les gendarmes. Il fait une sortie par les toits, mais le malfrat est pris en chasse par le reporter dans une poursuite qui va les emmener dans un décor reproduisant les hauteurs du Medrano perdu où débute une bagarre entre les deux hommes. Une altercation correspondant au coup d’envoi, quelques mètres plus bas, au gala de la presse en condition réelle, car la Tripe se présente dans la piste en Monsieur Loyal, tandis que six secrétaires évoluent en danseuses et qu’un véritable acrobate à cheval exécute des sauts de cravache en aller retour. Pendant ce temps, la lutte continue entre les deux adversaires dans les cintres, d’où ils vont finir par tomber dans une chute vertigineuse où j’ai bien cru qu’ils allaient s’écraser. Mais c’était sans compter la présence d’un filet, quasi invisible à l’écran, amortissant la descente et occasionnant la capture d’Esposito. Il s’agit d’une scène magistralement filmée par Carlo Rim qui se termine dans la sciure, car Virgile est accueillie en héros par le rédac chef, mais aussi par la jolie journaliste.

À noter au registre des figurants, l’acteur Robert Rollis en panoplie de cow-boy et le clown Pipo Sosman dans son costume traditionnel.

Obsession
Obsession - Medrano perdu

Obsession

Moins fréquent, le Medrano perdu en couleur. C’est le cas dans le film Obsession de Jean Delannoy en 1956, pour des plans intérieurs.

Au début, un duo au trapèze dans le numéro de l’échelle de la mort (Michèle Morgan et Raf Vallone) évolue à une coupole révélant de multiples lampions encadrant la douzaine de voûtes de ce cirque construit en 1874. Côté salle, les fauteuils rouges carmin semblent confortables dans leur emballage feutré, de même quatre garçons de piste affichent la couleur vive et quatre autres employés toujours en gris avec des casquettes officient derrière le rideau. L’orchestre est surtout composé de cuivres, la batterie s’étoffant dans un Paris qui bat au cœur du Jazz. Une autre séquence des aériens est filmé côté coulisse et montre que le Medrano perdu avait des loges évoquant des appartements sur un palier, mais aussi des écuries à la capacité d’accueillir un éléphant. Un fait relié à l’après spectacle est encore intéressant, quand Michèle Morgan se rend dans la salle déserte pour prendre une décision importante. En effet, le bord de piste et les sièges baquets sont tous recouverts d’une bâche blanche, un système ayant retenu l’oeil du réalisateur Jean Delannoy.

Les trois font la paire 
Les trois font la paire - Medrano perdu

Les trois font la paire

Un an après, Sacha Guitry insèrera à nouveau une scène de spectacle puis dans les coulisses du Medrano perdu pour égayer sa comédie policière Les trois font la paire  (1957) alors que la distribution propose encore quelques bonnes vieilles figures du cinéma français.

Le commissaire Bernard (Michel Simon) agit dans une affaire ou il est à la recherche d’un homme qui a poignardé un figurant (Jean Rigaud) sur un tournage de rue, sauf que le truand s’est fait piéger par la caméra du metteur en scène Henri (Darry Cowl). Le flic part dans l’enquête avec deux atouts : l’admiration de sa femme (Pauline Carton) qui le prend pour un Maigret et un portrait concret du tueur sur la pellicule, permettant l’arrestation rapide d’un suspect ressemblant, Jojo (Philippe Nicaud). Mais celui-ci sera relâché quand un détective du commissaire Bernard, Walter (Robert Dalban) se rend en famille au cirque du 63 boulevard Rochechouart, dans une scène se situant à la moitié du film. Qu’elle n’est pas sa surprise quand il reconnaît dans la piste, au travers de l’Auguste peu grimé (Philippe Nicaud), un faciès correspondant à la bobine recherchée, tandis qu’il ne porte pas particulièrement attention au Blanc. Ni une ni deux, il quitte la salle par une porte battante capitonnée à hublot et téléphone à son patron au bar de Medrano. Il se rencarde ensuite auprès du présentateur sur le nom des clowns en piste, qui lui indique qu’il s’agit de Teddy et Partner. Bernard constate à son arrivée que Walter a vue juste et les agents font une visite aux clowns, passant d’abord par les coulisses proposant une affiche d’Achille Zavatta, puis dans la loge des amuseurs, ou ils embarquent illico Teddy. Mais les enquêteurs ne verront pas le blanc se démaquiller et l’on découvre dans le miroir que Partner (Philippe Nicaud) est son frère jumeau ; son intervention en piste était donc doublé par un autre clown blanc (Jacques Famery). Finalement le commissaire va revenir sur le suspect de départ, Jojo et le confondre grâce aux indications d’Albertine (Sophie Desmaret) dit Titine la gourgandine.

Les Bario furent les conseillers techniques pour les séquences clowns, et pendant un instant dans une séquence en coulisses, on aperçoit Nello dans le rôle du régisseur du cirque.

Yoyo
Yoyo - Medrano perdu

Yoyo

En 1965 dans Yoyo un long métrage de Pierre Etaix sur lequel j’aurai aussi beaucoup à dire, les clichés du Medrano perdu se résument à des scènes décrivant un mouvement de cavalerie à l’heure d’entrer en piste, rapporté dans deux plans à l’identique ou presque ; en fait des inserts qui serviront à encadrer le temps qui passe entre 1939 et 1945.

En premier lieu, le réalisateur capte six chevaux et le même nombre de gars pour les tenir dans un élan qui sera brisé par un passage de l’image au ralenti sur une bande son de cuivres qui prend le pli, évoquant un flop, comme pour marquer l’arrivée de l’envahisseur. D’autre part, il existe une anomalie dans la scène, quand on voit distinctement la silhouette du dresseur de chevaux dépassant d’un rideau quand il claque du fouet au passage du dernier destrier. Dans la séquence suivante, nous revoyons le même lot de purs sangs empanachés dans un retour à vitesse normale. Une nouvelle curiosité intervient à l’écran car l’ordre de la liberté a changée. En effet les quatre noirs qui précédaient les deux blancs ont perdu le pôle position. Encore quand le cinquième de la file nous offre une belle ruade arrière comme un symbole possible du retrait de l’occupant.

Enfin un dernier petit détail : l’horloge du pourtour affiche la même heure dans les deux entrées impliquant que la pendule de Medrano était arrêtée.

Les clowns 
Les Clowns de Fellini - Medrano perdu

Les Clowns de Fellini

Pour conclure, le plan caméra sur l’édifice de jour dans le film  Les clowns  de Federico Fellini, quand celui-ci passe devant en voiture avec son équipe technique présente un avantage : celui de montrer concrètement ce qu’est devenu le Cirque Medrano perdu en 1970, à savoir une taverne à bière dont l’enseigne non flouée ne permet pas de douter de l’activité.

Micky Biblot

Adaptation de l’article À la recherche du Medrano perdu par Micky Biblot paru dans Bretagne Circus – janvier 2016.

Couverture MEDRANO - Boum-Boum

Couverture du livre MEDRANO – Boum-Boum par Dominique Denis

À lire à propos de Medrano perdu :
  • Cirque au Cinéma – Cinéma au Cirque – Adrian – 1984.
  • Cirques en bois de France – Cirques en Pierre de France – Charles Degeldère & Dominique Denis – Arts des 2 Mondes – Paris – 2002 – 2003.
  • Medrano – Boum-Boum – Dominique Denis – Arts des 2 Mondes – Paris – 2012.
  • Medrano – saison 1951-1952 – Dominique Denis – Arts des 2 Mondes – 2002.
  • Un soir à Medrano – Pierre R. Levy – photo Pierre J. Dans – Photostars – 2006.
  • Une vie de cirque – Jérôme Medrano – Arthaud – Paris – 1983.