Louis Soullier, un des plus pittoresques directeurs de l’histoire du Cirque, entreprit d’audacieuses tournées jusqu’en Sibérie, en Chine et au Japon, de 1852 à 1884.

suite de l’article : Laura de Bach et Louis Soullier

En Grande-Bretagne

Hippodrome et Cirque Soullier - gravure
Hippodrome et Cirque L. Soullier

Après le décès de Laura de Bach, le 11 septembre 1851 à Londres, Louis Soullier décida de rester, un temps, en Grande-Bretagne. Les enfants Franz, Johann, Clémentine, Victor, Léon, et Olga restèrent avec leur père. 

Quittant William Batty, il se fit engager au Welch Circus à Glasgow, en 1852. Afin de concurrencer l’Hippodrome de Henri Franconi junior à New York, Rufus Welch lui proposa une tournée en Amérique du nord, mais l’affaire ne fut pas conclue.

Oriental et Impérial

Toujours est-il que Louis Soullier retourna sur le continent, fin 1852. Dès lors, il reconstitua une compagnie sous l’enseigne de Cirque Oriental avec, au programme, la famille Soullier-de Bach, et des artistes comme miss Ella, Veldirini, Bolla, Parish, Mac-Collum, Stracfort, et les Fillis.

Lors de la saison suivante, en1853, il fit appel, à un précieux collaborateur en la personne de B. de Keroy, ex-rédacteur en chef et propriétaire du journal lyonnais l’Argus. Celui-ci écrivit et édita un opuscule à la gloire du directeur – un modèle du genre – intitulé exactement :

Cirque impérialLouis SoullierÉcuyer de S. M. l’Empereur de Turquie Abd-Ul-Medjid Kan et décoré de l’ordre impérial du NichamifthiarEsquisses et biographies.

Ce livret vantait, dans un stylé fleuri à la Théophile Gautier, les mérites des artistes de la troupe. Le texte préfigurait les journaux des grands cirques voyageurs de Barnum à Sarrasani.

Tournée en Suisse

Cirque Oriental - programme 52
Programme du Cirque Oriental

B. de Keroy évoquait les exploits de monsieur le directeur, de ses enfants Léon, Clémentine, Victor et Olga… des trois frères de Bach, Johann, Albert et Franz… miss Ella et Karmelis… messieurs Bridges, Thomas Mac-Collum, et Stracfort… du contorsionniste Arthur Maines… ainsi que du clown Edwards et ses petits compagnons Kean, Maimay et Tassau.

Pour la tournée en Suisse, Louis Soullier proposait une cavalcade dans les villes avec le char de Ste Cécile tirée par huit chevaux et transportant les musiciens.

St Quentin accueillit le Cirque Impérial de Louis Soullier le 1ermars 1854.

La cavalcade

Composition de la cavalcade :

  • Le char de Ste Cécile avec l’orchestre 
  • La voiture curricle – six poneys noirs
  • Le caridge impérial – cinq chevaux
  • La fortune, la voiture caisse – quatre équidés
  • La zéphirienne à quatre roues légères – quatre chevaux pommelés
  • Équipages impériaux – l’ensemble des voitures de transport du matériel.

Le spectacle était présenté par la famille Soullier Johnson, William Smith, Pepys, Siegrist, Sylbertus, Alexis Legouge, Petit Fils et Martin… mesdemoiselles Karmelis, Cornalie… et les clowns Edwins, Zimmre, et Weals. 

Le caravansérail

Le Caravansérail - chapiteau
Le Caravansérail

Les affaires ne furent pas florissantes, et Louis Soullier accumula les dettes… À tel point que, quinze jours plus tard, alors qu’il était à Eu, il dut céder tout son matériel à monsieur Henri Lebrument qui était son débiteur.

La malchance le poursuivant, Louis Soullier, au mois d’août 1854, fut condamné à payer une amende pour port illégal de décoration, et pour couronner le tout, quelques mois plus tard, fut acculé à la faillite. 

Alors que d’autres auraient baissé les bras, Louis Soullier, remit en route sa tournée, cette fois, en nommant directrice sa fille Clémentine, âgée de dix-huit ans. Plantant son chapiteau, appelé caravansérail, le Cirque impérial (de Constantinople) s’établit à Genève en juin 1855. Le passage du cirque fut signalé à Roanne en juillet.

D’Alexandrie à Constantinople

À la fin de l’année 1855, Clémentine fut engagée à Londres chez les Cooke. Enchaînant, la famille Soullier partit en janvier 1856 à Manchester, au Pablo Fanque and Newsome Allied Circus, puis le mois suivant, chez Ducrow à Birmingham. Ensuite, la ronde continua des engagements au Newsome Circus à Bolton en mars, au Cirque Impératrice à Cheltenham en mai… 

Ne pouvant se satisfaire de travailler chez les autres, comme on dit dans le métier, Louis Soullier se lança dans une nouvelle aventure…

En 1858, il s’installa à Alexandrie, en Égypte. Une fois de plus, il accumula les dettes. Heureusement, il fut appelé à Constantinople et le succès fut au rendez-vous.

Deux ans plus tard, toujours à Constantinople, un incendie ravagea le cirque. Ne se laissant pas abattre, Louis Soullier fit placarder un avis en Français, Turc, Grec et Arménien, qu’il planterait son chapiteau à la place des cendres encore fumantes de son manège.

Bagarres et derniers outrages

Cirque français - affiche
Cirque français

De leur côté, Victor et Léon prirent leur indépendance. Victor se maria avec Pauline Clémence Bouthors. Ils eurent plusieurs enfants : Angeline Jeanne (1861), Léon Victor (1863), et Victor Alfred (1874)… Léon, quant à lui, brilla dans ses exercices équestres dans de nombreux cirques européens.

Toujours sur le Voyage, Louis Soullier partit en Grèce. Alors qu’il était installé au Pirée, un fait divers défraya la chronique début mai 1863. Dans un document diplomatique du ministère des Affaires Étrangères français, on pouvait lire un compte-rendu pour les faits suivants :

Un soldat de l’armée française voulant forcer l’entrée du cirque frappa violamment un employé. Deux sous-officiers grecs, à leur tour, blessèrent un autre commis de l’établissement. D’autres militaires enlevèrent Anne Eigelsperger, une dame de la troupe, et se livèrent sur elle aux derniers outrages.

Un scandale d’état

L’affaire prit des proportions énormes dans l’opinion publique grecque. Le scandale fut tel, qu’à Athènes, le ministre des Affaires Étrangères présenta sa démission à l’Assemblée Nationale.

Les coupables furent arrêtés et jugés. Quant à monsieur le directeur et sa troupe, ils furent invités à se produire ailleurs. Ils retournèrent alors à Constantinople.

Des rumeurs malveillantes insinuèrent que Louis Soullier avait été assassiné. Trois ans plus tard, le consul de Grèce à Marseille démentit formellement cette fausse nouvelle.

Olga Soullier, qui s’était mariée avec Henri Gautier, donna naissance à Constantinople, le 1erdécembre à 1863, à Marius Antoine Louis Amédée Gautier.

Une folle aventure

La troupe Soullier au Japon - affiche
La troupe Soullier au Japon

Ne pouvant rester indéfiniment à Constantinople, Louis Soullier se lança dans une folle aventure qui fut relatée par quelques journalistes. Nous avons pu consulter deux articles – non signés – l’un dans Le Conteur Vaudois et l’autre dans Le Républicain de la Loire.

À la tête d’une troupe importante de 70 personnes, d’une cavalerie de 80 chevaux, d’un chapiteau et d’un matériel important, Louis Soullier entreprit une véritable expédition qui débuta en1865.

Partant de Constantinople, il parcoura la Valachie, la Moldavie, la Russie, la Sibérie… Il arrivait en Mongolie en 1869 à Oulan-Bator la capitale, où il passa l’hiver.

Enfin, il entra en Chine, d’abord à Tientsin, puis s’installa à Shangaï en novembre 1870. L’étape suivante fut Canton d’où le cirque s’embarqua à destination de Yokohama, au Japon.

Au Japon 

Le spectacle de Soullier - 1871
Le spectacle de Soullier au Japon – 1871

Les débuts eurent lieu début septembre 1871 à Yokohama. De somptueuses affiches, donnant un apperçu du spectacle, furent imprimées. Certaines sont de véritables chefs-d’œuvre. 

Une d’elles représente plusieurs acrobates à cheval, des gymnastes sur une échelle aérienne et deux autres sur une roue suspendue. Un autre placard montre des perchistes, des antipodiens, des comiques, des voltigeurs équestres et une jongleuse à cheval. 

La tournée japonaise terminée, Louis Soullier repartit à Shangaï en 1874,

Troupe Brésilienne et Japonaise

Jeux équestres de Soullier - affiche
Jeux équestres de Soullier

Auréolé de gloire, il réapparaissait en France quatre années plus tard. Dirigeant une troupe d’artistes japonais, il se produisit à Lyon en septembre 1878. Son passage fut signalé à St Etienne en 1880 et en Suisse l’année suivante.

Sous l’enseigne de Troupe Brésilienne et Japonaise, dont la vedette était la troupe cycliste Zento, il sillonna la Saône-et-Loire en février 1883. 

Les derniers jours à Berne

Le temps d’une étape, Louis Soullier donna fin janvier 1884 des représentations à Trieste au Rosetti Politeama. Puis, en avril, il arrivait à Montpellier.

Cette fois avec comme enseigne le Cirque Mexicain, Louis Soullier entra en Suisse, avec Lausanne comme étape en juin 1884. Les 17 et 18 juillet, il était à la Chaux-de-Fonds. Et, le 3 août, on pouvait lire dans l’Impartial, le journal de cette ville, un article relatant que Louis Soullier était souffrant à Berne. Pendant qu’une voiture venait le chercher à l’hôtel de France pour le transporter à l’hôpital, il expira dans l’escalier. Son décès fut déclaré le 29 juillet 1884.

Assurément, la fin de Louis Soullier, n’est en rien conforme avec les propos fantaisistes des nombreux auteurs qui, avec sérieux, prétendirent qu’il était mort, deux ans plus tard, dans sa petite maison à Toulouse.

Un grand du Voyage

Troupe Mexicaine - programme
Troupe Mexicaine

Hasard du calendrier, ce même jour à Berne, deux artistes du cirque, mademoiselle Hélène Albert et William Brooks se mariaient.

Par la suite, le Cirque Mexicain continua sa route quelques années en France sous la direction de la veuve de Louis Soullier (il s’était remarié avec Eugènie qui n’était autre, selon Saltarino, que la nièce de Laura de Bach).

Personnage ô combien mythique, Louis Soullier se distinga comme un intrépide acrobate à cheval et un maître écuyer précurseur des ensembles de chevaux en liberté. Avec Laura de Bach, il triompha à Constantinople, où il resta plusieurs années. Sous son chapiteau, qu’il appelait caravansérail, il fit rayonner le spectacle de Cirque jusqu’au fin fond de la Sibérie. Grand voyageur, Louis Soullier se risqua jusqu’au plus profond de l’Extrême-Orient, en Chine au Japon.

Dominique Denis

Sources

  • En Grande-Bretagne
  • Laura de Bach et Louis Soullier – Dominique Denis – circus-parade.com
  • Victoria Arena – vol II – John Turner.
  • Rufus Welchs worst season – Stuart Thayer.
  • Oriental et Impérial
  • Affiche du Cirque Oriental – 5 novembre 1852.
  • Esquisses et Biographies – B. de Keroy
  • Tournée en suisse
  • B. de Keroy – Esquisses et biographies.
  • Le Narrateur Fribourgeois – 26/08/1853.
  • Cirques en bois, Cirques en pierre de France – C. Degeldère et Dominique Denis.
  • La cavalcade
  • Impérial – affiche – 1er mars 1854.
  • Le caravansérail
  • Acte de vente – La Vigie de Dieppe – 17/03/1854.
  • Journal d’Avranches – 28/08/1854.
  • Annonces légales – Messager du Midi – 9/12/1854.
  • Le Journal de Genève – 5/06/1855.
  • L’Écho de Roanne – 1/07/1855.

1 – sources suite

Affiche japonaise de Soullier - spectacle
Affiche japonaise de Soullier
  • D’Alexandrie à Constantinople
  • Le Salut Public – 3/12/1855.
  • La Presse – 21/02/1860.
  • John Turner – Victoria Arena.
  • Bagarres et derniers outrages
  • Le Furet – 14/06/1863.
  • Diario Oficial de Avisos – 24/05/1864.
  • La Época – 25/05/1864.
  • Journal de Montpellier – 20/01/1866.
  • Arbre généalogique – Paul Salasca.
  • Archives diplomatiques – recueil de diplomatie – 1863.
  • Un scandale d’état
  • Recueil de diplomatie – suite 1863.
  • Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire – 7/09/1860.
  • Journal de Toulouse – 9/09/1860.
  • Acte de baptême de Marius Gautier.

2 – sources suite

  • Une folle aventure
  • Le Conteur Vaudois – 1/04/1871.
  • Le Républicain de la Loire – 15/03/1880.
  • Au Japon 
  • Nouvelliste de Shangaï – 19/12/1870.
  • Affiches japonaises – Archives Arlequin.
  • Kodom-E – Brigitte Koyam-Richard.
  • The Circus of the Horses – Equine Museum of Japon.
  • Rekihaku – n° 118.
  • Utagawa Masanobu – Pascal Jacob – Acrobates.
  • Equine Museum of Japon – The Circus of the Horses.
  • Troupe Brésilienne et Japonaise
  • Le Salut Public – 22/09/1878.
  • Le Républicain de la Loire – 15/09/1880.
  • L’Express (Suisse) – 16/08/1881.
  • Le Courrier de Saône et Loire – 12/09/1883.
  • La Démocratie du Cher – 5/07/1883.

3 – sources suite

Soullier - Extrême-Orient - affiche
Soullier en Extrême-Orient
  • Les derniers jours à Berne
  • Trieste et Montpellier – notes Paul Salasca.
  • Gazette de Lausanne – 19/06/1884.
  • L’impartial – 19/07/1884 – 03/08/1884.
  • Stadtarchiv – Berne.
  • Artisten Lexikon – Signor Saltarino & La Merveilleuse Histoire du Cirque – Henry Thétard – etc…
  • Un grand du Voyage
  • Journal de Genève – 6/08/1884.
  • La Culture Physique – 1/03/1914.
  • Troupe Mexicaine – direction veuve Soullier – programme.
  • Notes de l’auteur.