Alain Chevillard : Le 10 septembre 1898, poignardée par un anarchiste, mourait, à Genève, Elisabeth de Habsbourg, impératrice d’Autriche et reine de Hongrie, plus connue sous l’affectueux surnom de Sissi.

Par Alain  Chevillard

L’occasion de se souvenir et d’évoquer celle qui fut une grande écuyère de Cirque et certainement une des meilleures cavalières de son époque.

Une jeunesse insouciante

 Elizabeth jeune
La jeune Elizabeth

Élisabeth naît à Munich, un dimanche, pendant la nuit de Noël de l’an 1837.

Elle est le troisième des huit enfants du duc Maximilien en Bavière, chef de la branche ducale cadette de la maison de Wittelsbach et de son épouse la duchesse Ludovika de Bavière appartenant, elle, à la branche royale aînée.

Élisabeth vit une jeunesse insouciante  et fort heureuse entre Munich et Possenhofen, résidence peu luxueuse que la famille possède sur les bords du lac de Starnberg, à trente kilomètres au sud de Munich. Le duc Maximilien est un être agité, parfois extravagant qui a le goût de la vie et de la nature. Il voyage presque continuellement, donc l’éducation des nombreux enfants échoit à ma mère.

Elizabeth dite Sissi

Film de Ernst Marischka - affiche
Affiche du film de Ernst Marischka

Lorsque le père est là, il enchante  jeunes et  vieux en chantant et en s’accompagnant à la cithare, en déclamant des poésies et en étant le compagnon de jeux de ses enfants dans le parc du domaine.

Chasseur, il est bon tireur et connaît tous les secrets de la nature. Excellent cavalier, il aime les chevaux. Il sait les dresser et les fait évoluer en quadrille. Dans le manège qu’il s’est fait construire. Il se plaît en la compagnie des artistes et banquistes de passage. Il dit : « Si nous n’étions pas des princes, nous serions des écuyers de cirque ».

Élisabeth est une enfant indisciplinée car élevée dans l’ignorance des contraintes.

Elle est belle et élancée,  exhale  la  gaieté et la joie de  vivre entrecoupées de périodes de mélancolie profonde. Chacun de ses frères et soeurs possède un diminutif tendre ; pour toute la famille, Élisabeth est Sissi. 

À Possenhofen

l'intérieur d'un cirque
Au cirque…

Tout comme son père, elle aime la nature et les séjours à Possenhofen où elle peut s’entourer d’animaux, spécialement de chiens et de chevaux, ces derniers recueillant ses premières confidences.

Durant l’été de 1848, Sissi, qui est âgée de douze ans, séjourne à Possenhofen. Et, grand événement dans sa vie de petite fille, elle voit des danseurs de corde et des écuyers. Ce sera le premier intérêt ressenti pour le monde des forains et les gens du Voyage.

Les parents de François-Joseph, alors jeune empereur d’Autriche de vingt-deux ans, s’étaient mis en quête d’une épouse idéale pour leur fils. L’archiduchesse Sophie, mère de l’empereur, projeta, avec sa soeur Ludovika, d’établir un nouveau lien entre la maison de Wittelsbach et celle de Habsbourg en unissant François-Joseph à Hélène, la soeur ainée de Sissi, née en1834.

Un heureux mariage

Kaiser und Kaiserin -portrait
Kaiser und Kaiserin

Une rencontre est organisée afin de sceller le bonheur futur de François-Joseph. Le jeune empereur tomba en effet amoureux, non d’Hélène, mais de sa soeur cadette Sissi, également présente et alors à peine âgée de 15 ans. Malgré une intervention résolue de sa mère, François-Joseph persiste dans son choix.

Les fiançailles furent annoncées le 19 août 1853, et les noces du couple impérial célébrées, à Vienne, le 24 avril 1854.

Le soir du mariage a lieu le grand bal de la cour que président « Leurs Majestés Impériales ». Le lendemain, sur l’esplanade du Prater se déroule le bal du peuple. Le Prater est une ancienne chasse royale qui fut ouverte au public en 1766.

Dans ce parc, où l’on monte à cheval, se bat en duel, où l’on écoute les valses de Johann Strauss père et de Joseph Lanner, où l’on mange des poulets rôtis, a été élevé un cirque.

Circus Gymnasticus

Circus Gymnasticus et le Prater
Circus Gymnasticus sur le Prater

Ce cirque, le Circus Gymnasticus a été construit en 1808 par Christophe de Bach. C’est un bel amphithéâtre contenant environ trois mille places, magnifiquement décoré, avec une coupole de verre permettant d’y travailler sans lumière pendant le jour.

Christopher de Bach y donne des représentations pendant six mois consécutifs et voyage le reste de l’année en Allemagne, Italie, Russie. Lorsque Sissi et François-Joseph y viennent,  le surlendemain de leur mariage, l’établissement accueille le Cirque Renz, dirigé par Ernest Renz.

Né en Allemagne, Ernest Renz est le roi incontesté du Cirque en Europe centrale.  Son cirque fut l’un des plus grandioses et  des plus luxueux  que l’on  vit jamais. Ses écuries accueillirent jusqu’à deux cent cinquante chevaux en parfaite  condition et superbement harnachés. En dehors de son métier, dont il est  une  des  plus grandes figures, il fait travailler en même temps vingt-quatre chevaux en quadrille, douze blancs, douze noirs.

Ernst Renz et Oscar Carré

Ernst Renz - pas espagnol
Ernst Renz

Après un déjeuner, qui fut plutôt un gigantesque pique-nique, le couple impérial assiste à la représentation. Sissi est aux anges devant les prouesses des écuyers, des acrobates et des sauteurs. Sissi demande qu’Ernest Renz lui soit présenté. Et, pour prolonger ces instants  de  bonheur  profond qu’elle ressent, elle pose de nombreuses questions. Sa passion pour le Cirque est déjà immense et elle n’ira qu’en s’accroissant.

Plus tard un autre grand artiste de Cirque suscita l’intérêt de Sissi : Oscar Carré qui avait épousé Amélie Salamonsky, soeur du fameux directeur de ce nom et qui présentait, avec son épouse,  une double haute  école  sans selle restée célèbre dans les annales. 

Son succès à Vienne fut considérable et l’impératrice fut assidue aux répétitions et aux représentations du Cirque Carré.

Deux  caractères opposés

François Joseph et Elizabeth - le couple
François Joseph et Elizabeth

SissI et François-Joseph vivent psychologiquement dans  deux univers différents. Tout, dans leurs tempéraments respectifs, les opposent. Elle connaît les joies d’une imagination débordante, lui préfère les frontières tangibles du bon sens. Sissi adore l’imprévu, François­-Joseph le déteste.

Elle aime s’enfuir soudainement, sans but précis, bousculant horaires, rendez-vous et cérémonies, l’empereur s’évertue à organiser plusieurs semaines à l’avance le calendrier de ses journées. Il fait preuve d’un très grand sens du devoir, faisant passer sa mission avant ses plaisirs, sacrifiant à la grandeur de l’Empire son bonheur personnel.

Gymnastique impériale

Pour compenser ses contrariétés et son incessant mal de vivre, Sissi veut dompter son corps en s’imposant  une vie excessivement hygiénique et sportive. Mesurant un mètre soixante douze, elle ne dépassera jamais les cinquante kilos pour un tourde taille de cinquante centimètres. L’obsession de son poids et de son tour de taille la contraindront à observer, de façon permanente un régime anorexique. 

Tous les matins, avant son bain froid, elle s’épuise en tractions, contorsions et assouplissements de toutes sortes. Dans ses appartements du palais de la Hofburg, à Vienne, elle fait installer une salle de gymnastique. Son cabinet de toilette comporte un portique en bois, des barres parallèles et deux anneaux pendent au bout de cordes dans l’embrasure de la porte. 

Sissi danse beaucoup, fait de longues marches et pratique des exercices équestres de la plus grande difficulté. L’impératrice est certainement la plus sportive des souveraines d’Europe.

Chevaux d’école et en liberté

Oscar Carré et sa cavalerie
La cavalerie Oscar Carré

Pour parfaire son savoir équestre, Sissi appelle auprès d’elle Gustav Hüttermann. Il est le fils du directeur de cirque Friedrich Hüttermann et travaille, vers1875, au Cirque Carré que Sissi fréquente régulièrement.

Pour ces exercices de nombreux chevaux s’avèrent nécessaires. Sissi se constitue une écurie de cirque où voisinent bais jucker hongrois, orloffs noirs, blancs lippizans et angle­-arabes.

Elisa Petzold 

Eliza Paetzold - photo
Eliza Paetzold – photo ancienne

Ayant  assisté  à plusieurs représentations du Cirque Renz, installé à Vienne, Sissi remarque  et admire le talent d’une  écuyère :  Elisa Petzold,  dite  Elisa de Vienne. Issue d’une bonne famille saxonne, elle a fait de solides études dans un couvent, puis a débuté en piste dans le cirque de l’écuyer français FrançoisLoisset.  En1867,elle est engagée chez Renz où elle présente une double haute école avec Émilie Loisset.

Sissi demande à Élisa de lui faire travailler les figures de haute école. L’impératrice l’honorera d’une amitié fidèle et profonde. Elle lui fera cadeau de son plus beau cheval  Lord Byron qui sera empoisonné par une main criminelle dans l’écurie de l’Hippodrome de l’Alma.

Elisa parut avec succès dans toutes les pistes européennes et abandonnera le Cirque après son mariage avec le comte de la Bianchère.

Maestoso

Château de Gödôllö
Château de Gödöllö – photo A. A.

Après leur couronnement, François-Joseph et Élisabeth reçurent, en don, le château de Gödöllö, à l’est de Budapest, en Hongrie. Chaque année la famille royale ira passer quelques semaines à Gödöllö. 

Le château se trouve dans une grande et belle réserve de chasse, un lieu idéal pour les promenades à cheval. Des forains campent à l’extrémité du parc. Sissi aime Gödöllö où elle retrouve un sentiment de liberté, ayant supprimé la rigidité du protocole qui lui pèse tant à Vienne.

Près de sa résidence favorite, la reine de Hongrie a fait bâtir, pour donner libre cours à ses passions équestres, un manège où elle fait travailler son lippizan favori Maestoso.

 Loin des sarcasmes de la Cour, elle organise des soirées de Cirque pour ses invités. Le spectacle est accompagné par un orchestre tzigane et Sissi, elle-même, présente des chevaux en liberté et monte en haute école.

Les pistes de cirque

jeux du cirque - dessin
les jeux du cirque

François-Joseph admirablement docile à tous les caprices de son épouse met des fonds sans limites à sa disposition. Il paye ainsi les faramineuses factures de la Villa Hermès construite dans le fond du jardin zoologique de Lainz, située dans le parc du château de Schönbrunn, près de Vienne.

Conçu à l’origine comme un pavillon de chasse, c’est un vrai palais, d’un luxe étourdissant  qui est réalisé avec un mobilier précieux, des fresques représentant des gymnastes antiques et décoré des peintures de Gustav Klimt 

Pour parachever cette fastueuse demeure, Sissi n’a pas oublié d’y adjoindre de vastes écuries et, sous une rotonde coiffée d’une verrière, une piste de cirque où elle dresse ses chevaux et affine ses figures de haute école.

Sissi amazone

Sissi à cheval - affiche
Sissi à cheval

Tout le monde s’accorde pour reconnaître que l’impératrice est une amazone exceptionnelle.

Elle participe à de nombreuses chasses, quelque fois avec l’empereur, en Autriche, en Hongrie, en Bavière. Parcourant l’Europe, elle accepte de nombreuses invitations en Angleterre, en Irlande, en France. Cavalière intrépide, méconnaissant le danger, elle fait preuve d’une énergie incroyable. Inquiétant souvent ceux qui la reçoivent, elle emmène les chasses à un rythme épuisant que peu de cavaliers suivent sans peine. 

Lors d’une chasse en Angleterre, Sir William Watkin Wynn dit : « Elle ressemble à un ange et monte à cheval comme le diable« .

Son maintien et son allure sont sans égal, aucune autre femme ne surpasse Sissi lorsqu’elle est à cheval.

Une chute grave

Ces chasses, au cours desquelles elle méconnaît ses limites et se laisse entraîner au-delà du raisonnable, sont marquées par quelques accidents spectaculaires. À Sassetot, en Normandie, en montant un nouveau cheval Zouave, elle fait une chute grave qui la laisse de longs moments inanimée.

Lorsque le couple impérial fête ses noces d’argent, en1879, les Viennois plaisantent en français : « Ce n’est pas vingt-cinq ans de ménage, mais vingt-cinq ans de manège« .

L’ancien ambassadeur Hübner, assistant à une représentation de Oberon à l’Opéra de Vienne, où sont présents Leurs Majestés, note sans indulgence :

« C’est un événement de voir l’impératrice autrement qu’à cheval et le public se montre reconnaissant pour ce spectacle rare ».

La fin tragique de Sissi

L'assassinat d'Elizabeth - journal italien
L’assassinat de l’Impératrice Elizabeth

La mort de l’écuyère française Emilie Loisset, à la suite d’une chute de cheval, attriste beaucoup Sissi.  Ses problèmes de santé et l’avis  de  ses médecins la contraigne à renoncer progressivement à sa passion équestre.  

Elle passe alors sa vie presqu’entièrement en voyages, ne revenant à Vienne que pour de brefs séjours.

Le10 septembre1898, sur le quai du Mont-Blanc à Genève, à une heure quarante de l’après-midi, l’impératrice d’Autriche est poignardée par un anarchiste italien, Luigi Lucheni. L’arme est une lime triangulaire fichée dans un manche de bois.

Élisabeth ne s’est pas rendu compte du coup qui lui a été porté, pensant seulement avoir été bousculée. Elle veut prendre le bateau mais s’évanouit. Transportée à l’hôtel Beau­Rivage, elle meurt d’une hémorragie cardiaque à quatorze heure trente. Elle avait soixante et un ans.

Sissi, la plus belle , la plus romantique, la plus extravagante, la plus solitaire des souveraines d’Europe.

affiche : Sissi face à son destin
Sissi face à son destin

Alain  Chevillard

Adaptation de l’article  Sissi « Il y a cent ans… » Alain  Chevillard – Le Cirque dans l’Univers – n° 190 – 1998.

Sources et bibliographie

  • Henry Thétard : « La Merveilleuse  histoire du Cirque » suivie de « Le Cirque depuis la guerre » par L. R. Dauven. (Réédition de 1978 chez Juliard).
  • Jean des Cars: « Elisabeth d’Autriche ou la fatalité ». Librairie Académique Perrin,1983.
  • Georg Kugler : François-Joseph et Élisabeth. Verlag Styria – Graz1998.
  • Egon Cesar, comte Corti : » Élisabeth d’Autriche « . Payot1936 – (réédité en 1950 et en 1982). Le Cirque dans l’Univers n°57 – 2ème trimestre 1965 et n°128 – 1er trimestre1983.
  • Documents d’archives du palais impérial de la Hofburg et du château de Schönbrunn.

À lire

Elisabeth d’Autriche ou la fatalité – Jean des Cars – Librairie Académique Perrin -1983.