Vagabondage dilettante dans l’univers curieux du roman populaire à deux sous : L’écuyère dans les petits romans de cirque.
Par Bernard-Henri Jacques
Maîtresse de la piste, mais pas seulement
Chez Franconi comme chez Molier, les écuyères furent des personnalités fortes et complexes.
La trop courte vie d’Émilie Loisset est un roman véridique. Eugénie Weiss, baronne de Rahden, écuyère au cirque brésilien, cause et victime d’un homicide place de Jaude, à Clermont-Ferrand, ne laisse personne indifférent. Blanche Allarty ne devient la femme d’Ernest Molier que grâce à ses talents hors du commun. Moins de trente ans après l’ouverture du Cirque Franconi, boulevard du temple, ce personnage est officialisé par Balzac qui mêle Marguerite Turquet, dite Malaga, aux intrigues de La fausse maîtresse, puis de Cousine Bette.
Une caricature simplifiée
Pourtant, demeure une caricature de l’Écuyère moins valorisante.
Simplifiée par des auteurs peu imaginatifs, elle s’est imposée à un lecteur en quête de facilité. Nombreux furent les auteurs qui perpétueront, avec plus ou moins de talent, ce cliché qu’André Cayatte portera à l’écran, un siècle plus tard : l’écuyère demi mondaine, forte avec les chevaux, faible avec les hommes. La littérature populaire s’emparera du personnage de l’écuyère, fragile victime attendrissante, et produira de nombreux fascicules, souvent ringards et désuets, mais aussi naïvement touchants.
Héroïne de tragédie
Un magnifique travail a été fait par des chercheurs comme Marie-Ève Therenty.
Inutile, de paraphraser Paul Aron dont la publication les p(r)oses de l’écuyèreétudie parfaitement le roman du 19èmeau 20èmesiècle, et ses auteurs, de Jules Vallès à Paul Bourget en passant par Pierre Sales et Octave Mirbeau. Ni de refaire le superbe travail de Sophie Basch. En revanche, il est vraiment divertissant de parcourir l’abondante littérature populaire de la première moitié du vingtième siècle.
De souverains poncifs
Le livre L’étoile du cirque est l’exemple parfait de cette littérature d’entre deux guerres, avec ses poncifs patriotiques et sociaux.
Vendu chez Ferenczi, 25 centimes en 1930, puis 45 centimes en 1939 (tout augmente ), ce roman, signé Claude Desvalliers, fut écrit par Jeanne Philibert, dite Magali. Mirella est danseuse étoile au Cirque Européen. Le maitre de ballet, italien maniéré, peine à faire répéter ce corps de ballet qui comprend des danseuses allemandes, lentes, lourdes mais disciplinées et des françaises, légères mais désobéissantes. Nous sommes en 1939 ! L’exigeant directeur Felix Deshoux, est amoureux de Mirella qui lui préfère Maurice, clown avec lequel elle décide de quitter le cirque. Pipo, nain abject et servile, Polyphème, un lion dont on ne sait s’il a le mauvais œil, et la dompteuse Doralyse, sont les héros de ce suspense plus que prévisible. Les méchants découverts, l’amour vaincra, page 32. Aura-t-on eu vraiment peur ?
Cosmopolitisme
En 1934, André Hache, parolier et écrivain, connu sous les amusants pseudos de Jean des Rues et André Haleur, publie, lui aussi, mais chez Frédéric Rouff, une Étoile du cirque, petit livre de 78 pages.
Lucie Gerval est orpheline d’une mère célibataire couturière, courageuse mais, hélas, tuberculeuse, (tous les ingrédients du drame !). Seule au monde parmi les chevaux du fermier voisin, elle devient bonne cavalière et croise la route de Jean Viennot, le colosse du cirque Caretti. Alors, l’écuyère Juana, fille du patron, italienne donc jalouse, fera tout pour éloigner de cette Lucie, Benito (nous sommes en 1934 ), cousin à qui elle est promise, allant même jusqu’à cacher des barres de fer dans le cerceau que l’écuyère traverse en sautant. La sœur cartomancienne Ginévra, et le chinois Li-Nan, avaleur de sabre, fourbe et cruel, complice de Juana, étoffent cette histoire où l’amour sortira quand même vainqueur. Pas très convaincant !
Un titre vraiment convoité
Une fois de plus, L’étoile du cirqueest un titre vraiment alléchant.
Déjà en 1925, l’Édition des films d’amour publiait pour 50 centimes, un recueil de 45 pages, signé Pierre Rédinval, d’après un film V.A.F. Ici, l’écuyère Ida, en tournée avec le cirque Falcari, bouscule le quotidien oisif du jeune et riche Rodolphe. Ils se marient au grand dam d’Anne, l’amie d’enfance distinguée et discrètement amoureuse, mais aussi de Franck, le partenaire abandonné. Finalement Ida qui, malgré ses efforts, s’ennuie dans ce monde de Bourges, retourne au cirque travailler avec son Franck. Rodolphe et Anne iront les applaudir au cirque Impérial (plus chic que le petit chapiteau italien des débuts). Après le spectacle, où Ida sera brillante, Rodolphe aura cette conclusion :la fleur merveilleuse s’étiole hors du terrain pour lequel, elle était née. Prudente morale : chacun chez soi, les Saltimbanques comme les Gens du monde.
Sujet idéal pour attirer le chaland
L’année 1922, Marcel Luguet, auteur prolifique de romans sociaux (Les nourrices, l’élève martyr, etc.), publie chez France-Édition, dans la collection Le roman du jour, un récit de 127 pages qui commence comme une aventure africaine avec chasse aux fauves pour se continuer et se terminer à Clermont Ferrand.
Le portrait de la vielle souffleuse d’un théâtre forain est poignant. La ménagerie qui jouxte ce théâtre lui apportera une belle surprise. L’écriture datée est intéressante avec quelques beaux personnages inspirés des Pezon et Hagenbeck. Cependant l’écuyère, qui a quitté la piste pour épouser un artilleur musicien, occupe un rôle vraiment mineur dans cette histoire de ménagerie. Elle n’a d’utilité que pour un titre accrocheur. Procédé plutôt racoleur !
Hiérarchie préservée
Pierre Vaumont, auteur maison de Ferenczi, utilise le thème des classes sociales difficilement miscibles.
Il écrit un livret de 64 pages, en 1952 Voulez vous m’épouser ? Dans une bourgade paisible, une Madame de et un jeune médecin de campagne à marier. L’issue heureuse semble évidente mais voilà qu’arrive un cirque ambulant avec une très belle écuyère et sa petite fille malade. Dans ce cirque travaille aussi un clown jaloux. Un drame se prépare entre tous ces acteurs qui se croisent sous le chapiteau, dans le cabinet médical ou au château. Heureusement, chacun restera à son rang. Après quelques égarements, les riches distingués retrouveront leur calme et leur bienséance et permettront même, suprême félicité, à ces pauvres saltimbanques de devenir leurs gentils domestiques en quittant leur infâme roulotte pour une maisonnette au fond du parc du château. Volontairement édifiant et, avec le recul, vraiment hilarant.
Une mixité sociale
Puis, L’écuyère aux yeux d’émeraude, publiée dans la série Les heures bleues est une lecture spécialement destinée à distraire la ménagère.
Le baron Gaëtan de Myers distraie son ennui provincial grâce à la venue annuelle du cirque Fiducci, italien évidemment. Emilia, jeune écuyère, attire toute son attention. Le Baron charge Pierre, son sémillant homme de confiance, de lui porter des roses. Arrive ce qui doit arriver. Le jeune homme tombe amoureux d’Emilia et voilà que tout se complique. Mensonges et quiproquos fleurissent, car Emilia n’est pas seule ; elle a une jumelle cachée. D’où l’imbroglio permanent ! On apprendra que le vieux baron n’est pas un vieux barbon mais un père putatif aimant. Pierre et Emilia reviendront au château. 96 pages d’un récit compliqué à l’écriture correcte et au style original qui font penser à une production alimentaire sous pseudonyme. Mais qui donc s’est caché sous ce nom de Jean Mandole ?
L’influence américaine de l’après guerre
Sous la plume d’Ellen Vaison (cela sent vraiment le pseudo), en 1950, La belle amazone paraît chez Ferenczi dans la série Mon roman d’amour, au prix de 8 F. L’inflation a commencé !
C’est le Great Circus. La Libération a laissé quelques traces ! Mister Bob, nain vedette n’a d’yeux que pour Sylvia, la belle amazone alors que Nanine, partenaire de piste à sa taille, ne rêve elle, que d’être sa partenaire de vie. Jalousie et désespoirs avec d’étonnantes descriptions de langueur et fièvres cérébralescomme on n’en trouve que dans ces romans. Quant à l’intrigue, on préfère nettement celle de Tod Browning dans Freaks, dont visiblement l’auteur s’est inspiré sans vergogne.
Illustrateurs peu valorisés
Clément Jacquier, patron des éditions lyonnaises du Puits-Pelu, produit, après guerre, une série féminine intitulée Crinoline, dont un roman d’Annie Achard, auteur prolixe de romans d’amour Le secret de Gonzalvo.
Ce journal amer d’une écuyère raconte ses amours difficiles où la maladie se mêle à la trahison mais aussi au sacrifice. De la caravane au sanatorium, une quinte d’émotion a dû submerger la ménagère du baby-boom. Ce livre que l’on pourrait sous-titrer, par dérision, Des camélias dans la sciure ou Marguerite Gautier en piste, n’a pour seul intérêt que l’illustration de Roger Roux. Ce carpentrassien très doué, après l’école des Beaux-arts de Lyon,, se consacra au dessin de mode, puis rejoint la joyeuse bande à Jacquier, dont Marcel Grancher et Fréderic Dard faisaient partie. Ce dernier l’appelait d’ailleurs Frère Roux. Ce dessinateur a illustré aussi de magnifiques albums pour la jeunesse.
Un personnage hélas aujourd’hui disparu
La véritable écuyère à panneau a disparu de la piste. De Georges Seurat à Pierre Bonnard, en passant par Toulouse Lautrec, Jean Dufy, Chagall et Edmond Heuzé, les peintres ont magnifié ce personnage.
Cette admiration purement esthétique se retrouve transcrite dans les romans, un peu par défaut. Car, certes, l’écuyère y est belle mais … c’est tout, et, littéralement, c’est un peu faible. Enfin, l’écuyère, rarement maitresse de son destin, subit les maux et les situations, mais sans jamais les dominer. Aimée avec pudeur, aidée avec candeur, trahie avec malheur, l’écuyère du roman populaire reste une perpétuelle victime consentante qui n’est séduisante que par sa beauté, forcément fugitive. Est ce à cause de cela qu’elle se doit de mourir jeune ?
Bernard-Henri Jacques
Références des supports sur lesquels l’auteur de l’article s’est appuyé pour écrire cet article
- Le cirque/ Georges Seurat / 1890 / Musée d’Orsay
- Le roman de l’écuyère/ baronne Jenny de Rahden / Charles Eitel / 1902
- La Centauresse Blanche Allarty/ Candido de Faria / 1906
- Le cirque Franconi/ Fréderic Hillemacher / Louis Perrin § Marinet Lyon / 1875
- Le cirque Molier, rendez-vous mondain… / V.Ducrey, R. Turcat, V. Jacob / Beaux Arts / 2020
- L’équitation et le cheval/ Molier / Pierre Lafitte § Cie / 1911
- Le cirque, l’équitation et l’athlétisme/ E. Molier / Éditions Baudinière / 1925
- L’accident qui a causé la mort d’Émilie Loisset/ Journal Illustré N°18 du 30/04/1882
- La fausse maitresse/ Honoré de Balzac / 1841
- La cousine Bette/ Honoré de Balzac / 1843
- La fausse maitresse/ André Cayatte / Gaumont 1942
- Le bachelier géant ou la confession d’un saltimbanque/ Jules Vallès / Auguste Blaizot / 1943
- Les p(ro)ses de l’écuyère du cirque (1850-1914) / Paul ARON / Autour de Vallès n° 42 / 2012
- Romans de cirque/ Sophie Basch / Robert Laffont / 2002
- L’écuyère/ Paul Bourget / Plon-Nourrit § Cie / 1885
- L’écuyère/ Gouache de Fernand Léger / 1953 / Collection particulière
- Une épopée de légende : les Pezon/ Nathalie Deux / Babelio / 2009
- Ces bêtes que j’aimais tant/ Lorenz Hagenbeck / L’arche de Noé du XXèmesiècle / 1962
- Tod Browning, une vie avec les Freaks/ Bret Wood / La librairie du jouet / 2018
- L’écuyère/ Pierre Bonnard / 1897 / Musée Faure Aix les bains