Appelée la diva de l’équitation, Emilie Loisset, lors de sa trop courte carrière, fut une des étoiles les plus brillantes de la haute école du XIXème siècle.

Une fameuse lignée

Contrairement à ce qu’a pu écrire Signor Saltarino, Laurence Émilie Marie Roux, dite Émilie Loisset était née non pas à Bruxelles, mais à Paris le 14 aout 1854. 

Elle était la fille de Jean Joseph Roux, confiseur parisien de la rue Royale et de l’écuyère Antoinette Fortuné dite Camille Loisset. Émilie était donc la petite-fille de Jean-Baptiste Loisset, le fondateur de la lignée, et la nièce de l’écuyère Louise Loisset ainsi que du directeur de cirque de François Loisset, marié avec la célèbre Caroline Loyo.

Avec sa sœur Clotilde, Émilie fit ses classes au cirque de son oncle François, notamment à Amiens en 1869.

Les petites Loisset

Pour leur talent, leur sérieux et leur gentillesse, les deux sœurs étaient surnommées affectueusement dans le métier les petites Loisset.

Charmantes écuyères à panneau, elles faisaient partie de la troupe du cirque de leur oncle François Loisset qui se produisait en Allemagne.

Leur réputation franchit les frontières, et toute deux furent engagées à Paris, en avril 1878, au Cirque d’Hiver puis au Cirque d’Été, aux Champs Élysées, dirigé par Victor Franconi.

Le monsieur de l’orchestre

Tandis que Clotilde voltigeait à cheval, Émilie Loisset présentait des airs de haute école. En compagnie d’autres écuyères, elle dirigeait également La manœuvre des hussards ainsi qu’un quadrille avec Oceana Renz, Anna Fillis et Virginie Léonard.

Dans Le Figaro, le monsieur de l’orchestre (le journaliste Arnold Montjé, dit Mortier) écrivait :

« … Le succès de la soirée a été pour mademoiselle Émilie Loisset et son cheval de haute école Mahomet. Mademoiselle Émilie Loisset, une jolie personne, a eu l’esprit de renoncer au costume classique de l’amazone par une sorte de costume bohémien des plus gracieux.On n’a jamais rien vu de plus fort en matière équestre que les exercices de cette jeune femme à laquelle on a fait une longue ovation. Voilà une étoile nouvelle dans le firmament parisien : La diva du manège… »

Les bras en croix

Le journal L’Entracte, le 9 juillet 1879, rapporta l’accident survenu au Cirque d’Été. Lors de l’exercice Le jeu de la rose, le cheval de Clotilde Loisset a heurté celui d’Émilie sur lequel elle se tenait debout. L’infortunée Émilie tomba de toute sa hauteur et se retrouva la face contre terre, évanouie les bras en croix. Le cheval, affolé, posa les sabots sur se reins. Terrorisée, Clotilde s’évanouit à son tour.

Heureusement, il n’y eut plus de peur que de mal, et une dizaine de minutes plus tard, les deux soeurs revenaient saluer le public enfin rassuré.

La saison au Cirque d’Été se termina le 17 octobre. Suite à ses chutes, Émilie cessa les voltiges à cheval et se consacra à la haute école.

Mariage de Clotilde

Entre temps, sa sœur Clotilde s’était mariée, le 17 août, avec le prince héritier Heinrich XX Reuss zu Köstritz. De par cette union considérée comme une mésalliance par la noblesse, l’altesse dut renoncer à son titre et prendre celui de baron von Reichenfels. Le couple s’installa à Bruxelles avec un pied à terre à Paris, rue Lafayette.

Anoblie, Clotilde quitta définitivement la Piste.

Quant à Émilie, elle ne manqua pas ni d’admirateurs ni de prétendants, dont un des plus célèbres fut le prince de Haszefeldt. Cependant, elle sut résister dignement aux frivolités du moment et se produisit, pendant l’hiver, au Cirque Renz à Berlin.

Événement parisien

Le passage d’Émilie Loisset fut annoncé en février 1880 au Cirque Royal de Bruxelles sous la direction artistique d’Oscar Carré.  Ensuite, elle se rendit chez Renz à Berlin, puis retourna au Cirque d’Été de Victor Franconi. Ce fut un événement parisien.

Le baron de Vaux salua son talent d’équitation et sa grâce personnelle en ajoutant que personne n’avait monté à cheval avec plus d’élégance et de légèreté. Dans son livre Écuyers et Écuyères, il écrivit :

« … Le cheval (Mahomet) arrivait au centre du manège par une grande volte sur les hanches ; petit à petit, Émilie raccourcissait cette volte de manière que le cheval fut complètement assis sur les jarrets, puis, avec un léger point d’appui sur les rênes, elle lui faisait exécuter de suite cinq ou six bonds élevés et précipité, et elle quittait l’arène en lui faisant exécuter des lançades extraordinaires… »

Le saut de Pour-Toujours

Ce même auteur commenta l’accident survenu à Berlin en 1881. Alors qu’elle effectuait un saut par-dessus une table chargée de candélabres, son cheval irlandais Pour-Toujours manqua des pieds et s’abattit lourdement. Dans la chute, Émilie Loisset se démit une épaule.

Paris, avril 1882

Victor Franconi, une fois de plus avait fait appel à Émilie Loisset pour la reprise du Cirque d’Été. Arrivée en avance, elle décida de préparer avec soin sa rentrée au Cirque d’Hiver.

Ce qui allait se passer fut rapporté par le journaliste du Figaro Albert Wolf. Etant donné qu’il y eut plusieurs versions de cet accident, nous nous tiendrons à la version de Wolf, la mieux documentée.

Le 15 avril, en tout début d’après-midi, au Cirque d’Hiver, Émilie voulut répéter son entrée triomphale qui consistait à sauter un obstacle venant des coulisses et de saluer le public.

Pour cet exercice, Emilie fit sceller J’y pense, un cheval très lourd et réputé difficile. Enfin prête, les assistants fermèrent derrière elle la porte en fer des écuries.  Cette mesure était habituelle pour éviter qu’un cheval rebelle ne regagne au galop le chemin pavé de l’écurie, source évidente de danger.

La fin tragique d’Émilie Loisset

Ayant pris son élan, Émilie arriva à vive allure devant l’obstacle. Le cheval refusa net. Il fit demi-tour et se rua vers l’écurie… seulement, la porte étant fermée, il se cabra et s’abattit sur le coté, écrasant Émilie de tout son poids.

Le personnel se précipita pour la dégager. Hélas, la béquille de la selle l’avait transpercée. Curieusement, la blessure n’était pas apparente et elle ne saignait pas. Appelés d’urgence deux médecins, les docteurs Pietri et Gery, furent appelés et lui prodiguèrent les premiers soins. 

On la conduisit chez sa tante madame Froment, rue Oberkampf, à deux pas du Cirque d’Hiver. Sa famille fut aussitôt prévenue.

Le lendemain, Émilie commença à délirer. Le dimanche 17 avril, à neuf heures du matin, elle rendit son dernier soupir.

La diva de l’équitation

Indépendamment de sa famille et de ses proches, rarement une artiste de cirque fut autant pleurée.  Le l8 avril, son décès était annoncé en première page du Figaro. Albert Wolf lui consacra deux colonnes particulièrement émouvantes.

La réputation d’Émile Loisset était devenue mondiale.  En Amérique, le journal New York Clipper mit son portrait en exergue. Citons encore l’impératrice Sissi qui fut particulièrement affectée par cette fin tragique.

Laissons le mot de la fin au monsieur de l’orchestre qui écrivait :

« … C’est la diva de l’équitation, la Patti de la haute école, l’amazone la plus intrépide, la plus charmante, la plus étourdissante, qu’il eut depuis les temps fabuleux qui virent les premiers exploits des amazones… »

Dominique Denis

Sources

  • Une fameuse lignée
  • Acte de naissance Émilie Roux.
  • Recherches Paul Salasca.
  • Artisten Lexikon – Signor Saltarino.
  • Les petites Loisset Tristan Rémy – Le Cirque dans l’Univers – n° 87
  • Jean-Baptiste Loisset gentilhomme de cirque – Dominique Denis – circus-parade.com.
  • Cirques en bois et en pierre de France – Charles Degeldère et Dominique Denis. Cirques en bois et en pierre d’Amiens – Dominique Denis – circus-parade.com.
  • Le tableau de Paris – Jules Vallès.
  • Théodore Rancy et son temps – Jacques Garnier.
  • Les petites Loisset
  • Correspondance générale – volume 9 – Jules Barbey d’Aurevilly.
  • Notes Tristan Rémy.
  • Programmations Cirque d’Hiver et Cirque d’Été – Le Figaro – l’Entracte.
  • Le monsieur de l’orchestre
  • Ouverture du Cirque d’Été – un monsieur de l’orchestre – Le Figaro – 26/04/1878.
  • Les bras en croix
  • L’Entracte – 9/07/1878.
  • Mariage de Clotilde
  • Dames de cœur et rois de trèfle – Tristan Rémy – Le Cirque dans l’Univers – n° 71.
  • Der Circus Renz – Alwill Raeder.
  • Événement parisien.
  • L’Entracte 4/12/1879.
  • Écuyers et Écuyères – Baron de Vaux.
  • Le saut de Pour-Toujours
  • baron de Vaux – notes.
  • Paris, avril 1882
  • Article : Émilie Loisset – Albert Wolf – Le Figaro – 18/04/1882.
  • Arthur Rimbaud et le cirque : Henry Thétard – Revue des deux mondes.
  • La Merveilleuse Histoire du Cirque – Henry Thétard.
  • Dictionnaire de Octave Mirbeau.
  • Commentaires du baron de Vaux.
  • Le cirque commence à cheval – Adrian.
  • La fin tragique d’Émilie Loisset
  • Suite de l’article d’Albert Wolf.
  • La diva de l’équitation
  • Acte de décès 18 avril 1882.
  • New York Clipper – 27 mai 1882 – première page.
  • Sissi écuyère romantique – Alain Chevillard – circus-parade.com.
  • Le monsieur de l’orchestre – Le Figaro – notes.
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